Atelier : « Les éléments du tarot – Collages alchimiques à partir des représentations divinatoires de la matière »

Cet atelier propose de s’inspirer des éléments du tarot divinatoire pour expérimenter une pratique de collage orientée. Ces éléments sont relatifs à la matérialité des cartes elles-mêmes – incitant à interroger leurs agencement, grammaire et fonctionnement – mais aussi aux Éléments, en tant que composants physiques élémentaires, mis en scène par des symboles (al)chimiques et divinatoires. Le Feu, l’Eau, la Terre, l’Air, ainsi que leurs représentations par les jeux de tarot, seront les guides de cet exercice. Ces quatre éléments constituent des foyers d’images poétiques reliant, par différents tropes, le cosmos aux vivant.e.s. Par des découpages, décompositions, fragmentations, hybridations, détournements et restructurations, les univers des éléments nous accompagneront dans la production d’une carte qui nous est propre. Celle-ci sera, à l’issue de l’atelier, intégrée à un jeu que nous aurons collectivement construit. Les cartes et le jeu seront l’occasion d’une réflexion sur nos imaginaires matériels, mais aussi, de bricolages allant au-delà de la simple contemplation.

Au-delà d’une fascination pour l’histoire populaire du tarot, et des échos entre les images qui lui sont propres et les mèmes d’aujourd’hui, c’est l’ambiguïté de ses contradictions qui anime mon intérêt pour lui et ses éléments. La pluralité de ses  différents usages et détournements, dans différents contextes culturels et politiques, m’a amenée à l’appréhender non pas uniquement comme un outil divinatoire capable de donner des réponses, mais plutôt, comme une archive et un artefact susceptibles de faire émerger des questions particulièrement pertinentes.

À titre d’exemple, on peut citer l’histoire de sa conversion divinatoire. Le tarot est apparu au nord de l’Italie à la fin du XVe siècle, puis a plus ou moins disparu des habitudes européennes au cours du XVIIIe siècle, pour être retrouvé, récupéré et re-mobilisé par le régime impérial de Louis-Napoléon Bonaparte, suite à un coup d’État donnant lieu au Second Empire. Cette récupération, il me semble, apparaît comme le symptôme de dynamiques sociales plus larges opposant l’idéal universaliste de mise en commun des connaissances et la nécessité coloniale de justification d’un droit naturel d’appropriation.

Alors que les cartes étaient initialement pensées comme des mises en scène du quotidien des riches familles qui en commandaient la confection, le Second Empire les a utilisées aux  fins de justification des campagnes coloniales françaises au Moyen-Orient, elles-mêmes stimulées par une dite Égyptomanie orientaliste, elle-même exacerbée par l’obsession de découvrir de soi-disant mystères-mystiques-exotiques enfouis et oubliés dans un désert égyptien fantasmé. Des symboles et hiéroglyphes — qui à l’époque n’étaient pas encore décodés — ont donc été ajoutés aux cartes du tarot en vertu de leur soi-disant pouvoir, mystérieux et dissimulé, qui nécessiterait la science et la rationalité française pour être décodé, révélé et rendu public et commun. Ironiquement, l’accès à ces symboles a été, simultanément, rendu possible grâce à la conquête militaire napoléonienne et aux expéditions archéologiques y étant attachées.

Ainsi, par un concours de projections et d’interprétations tronquées, des symboles d’Égypte antique ont été prélevés (ou découpés) de leur contexte initial pour être implantés (ou re-collés) sur le gabarit des cartes à jouer initialement issues de la Renaissance italienne. Les pratiques de saisis, pillages, décontextualisations, découpages et recompositions opérées par le régime colonial, conservateur, impérial et autoritaire du Second Empire se trouvent donc illustrées, de manière à la fois désinvolte et ésotérique, dans l’objet de culture populaire, New Age ou mondain, qu’est devenu le tarot.

Les éléments du tarot donnent donc matière à penser en ce qui concerne les gestes d’appropriation, de détournement et de réemploi du quotidien. Sans cancel d’emblée tout le tarot, il est intéressant de le considérer comme un objet complexe, hétéroclite et toujours en mouvement. Aussi, les éléments qui le composent peuvent être compris comme des invitations à questionner les rapports de force, ou les potentielles résistances, implicites aux découpages, détournements et réemplois. Des gestes de déconstruction et recomposition qui occupent Lara dans son interrogation de l’environnement matériel athénien et, par métonymie, l’imaginaire qui anime le marbre, le béton et le bigaradier.

Albertine Thunier